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CCQ c. Alumico Gestion de projets

La Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[1] a entre autres pour mission d’assurer la mise à exécution des conventions collectives dans le milieu de la construction au Québec. Pour ce faire, la Commission de la construction du Québec (CCQ) peut, par le biais des articles 54 et 81 c.2) de la Loi, recouvrer les salaires des travailleurs syndiqués et les autres avantages non payés auxquels ils ont droit, et ce, tant à l’entrepreneur général qu’aux divers sous-traitants impliqués dans le non-paiement, car ceux-ci sont responsables solidairement.

En effet, la Loi accorde à la CCQ la possibilité d’avoir plusieurs débiteurs afin de protéger davantage les droits patrimoniaux des travailleurs de la construction qui font partie d’une convention collective. D’ailleurs, dans la récente affaire CCQ c. Alumico Gestion de projets[2], la Cour du Québec soulève des points intéressants quant à la responsabilité et la solidarité de ces débiteurs et quant au délai de transmission des réclamations par la CCQ à ces débiteurs.

Dans cette affaire, la CCQ réclame à l’entrepreneur général Alumico Gestion de projets certaines sommes pour le bénéfice de salariés du sous-entrepreneur Installation Sylvain Gignac. L’entrepreneur général prétend alors qu’il ne peut être tenu solidairement responsable avec le sous-entrepreneur, puisque la CCQ aurait fait défaut de lui envoyer certains documents qui auraient pu lui permettre de se prémunir contre les manquements de paiement de son sous-traitant. Plaidant la relation de cautionnement entre son sous-traitant et lui-même, l’entrepreneur général tente d’imposer à la CCQ l’obligation de renseignement du créancier de l’article 2345 du Code civil du Québec.

C’est alors que la Cour s’exprime sur cette logique de droit privé en mentionnant pour la première fois que l’obligation solidaire qui se dégage de l’article 54 de la Loi est une création législative et non contractuelle et que bien que le Code civil du Québec établisse le droit commun, le législateur a voulu avec la Loi « s’écarte[r] du droit commun afin d’assurer une protection d’ordre public à un groupe réputé vulnérable, en l’occurrence les salariés de l’industrie de la construction ». De cette façon, elle décrète qu’aucune relation contractuelle entre la CCQ et l’entrepreneur général ne peut se déduire et donc qu’aucune obligation de renseignement reposant sur l’obligation de bonne foi dans le domaine contractuel ne peut s’appliquer à la CCQ et incidemment bénéficier à l’entrepreneur général.

Ensuite, bien que les premières réclamations de la CCQ à l’entrepreneur général aient été transmises plus de 3 mois suivant la découverte des manquements, la Cour, en reprenant les termes de la Cour d’Appel du Québec, ne lui en tient pas rigueur en expliquant qu’attendre que le chantier soit terminé avant d’intervenir contre l’entrepreneur général avait permis de minimiser les risques que ce dernier cesse de payer son sous-entrepreneur et incidemment les risques que les salariés du sous-entrepreneur ne reçoivent pas leur salaire.

Finalement, bien que l’entrepreneur général dans cette affaire se voit condamné à payer à la CCQ les sommes dues aux salariés, la Cour accueille cependant son recours en garantie contre l’administrateur du sous-traitant et condamne par le fait même ce dernier à l’indemniser en retour pour ces mêmes sommes. En effet, même si l’entrepreneur général reconnait avoir pris un risque d’affaires en libérant à son sous-traitant la retenue contractuelle de 10% avant d’avoir en main les lettres de conformités requises afin de l’aider à régler ses problèmes de liquidités, la Cour va plutôt chercher la responsabilité personnelle de l’administrateur de la compagnie de sous-traitance étant donné les fausses déclarations qu’il avait faites à l’entrepreneur général concernant le paiement de ses cotisations à la CSST et à la CCQ dans le but de se voir libérer de ladite retenue, et ce, même s’il l’a fait dans l’intérêt de son entreprise.

Pour conclure, il est important de se rappeler que la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction est d’ordre public et que les tribunaux semblent donc plus enclins à l’interpréter de façon à protéger les droits des plus vulnérables. Faire des affaires c’est aussi en assumer les risques. Un entrepreneur prudent et diligent pourrait toutefois se constituer une sécurité supplémentaire en insérant, dans son contrat de sous-traitance, une clause de divulgation concernant les paiements de salaires et autres avantages et appliquer une retenue contractuelle à cet effet, à condition bien sûr de ne pas en libérer les sommes prématurément à son sous-traitant!

Par : Me Pierre Viau

 

[1] RLRQ, c. R-20. (ci-après «Loi»)
[2] Commission de la construction du Québec c. 4413661 Canada inc. (Alumico Gestion de projets), [2018] C.Q. 1276.
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