Les changements de réglementation et les droits acquis
Vous achetez un terrain près d’un lac avec l’intention d’y faire construire un chalet. Toutefois, la réglementation municipale est modifiée juste avant que vous ne commenciez la construction du chalet. Cette nouvelle réglementation interdit dorénavant toute nouvelle construction dans la zone où se trouve votre terrain. Aurez-vous le droit de construire le chalet en question malgré le changement de réglementation ?
La réponse à cette question dépendra du fait que vous bénéficiez ou non d’un droit acquis. Un droit acquis est un concept juridique qui permettra, entre autres, à une personne de ne pas se voir imposer une nouvelle règle malgré le changement de cadre juridique applicable à sa situation. En d’autres termes, la nouvelle réglementation pourrait ne pas s’appliquer à une personne si cette dernière bénéficie d’un droit acquis.
Un droit acquis peut être invoqué dans certaines circonstances pourvu que les conditions applicables à la situation donnée soient remplies. Ici, nous démystifierons le droit acquis résultant de la demande de permis de construire « complète et conforme » et déposée dans les délais.
Les tribunaux ont déjà reconnu l’existence de ce droit acquis à différentes reprises. La Cour suprême du Canada en a résumé les principes en mentionnant que la demande de permis « substantiellement complète et conforme à la réglementation municipale en vigueur au moment de son dépôt confère à un promoteur un droit prima facie à l’émission du permis. »1.
Les tribunaux ont ensuite davantage précisé en quoi consistait une demande de permis « substantiellement complète et conforme », notamment la Cour d’appel dans l’arrêt Al-Musawi c. Westmount qui écrit :
« Pour répondre à ce double critère (demande complète et conforme), les tribunaux ont généralement jugé qu’il était nécessaire :
• Que les frais soient payés, le formulaire requis complété et les plans déposés (plus que de simples esquisses); et,
• Que le projet soit substantiellement conforme aux règlements normatifs applicables. »2
Ainsi, pour bénéficier du droit acquis lui permettant de construire, et ce, malgré le changement réglementaire, le promoteur devra au moins avoir payé les frais du permis et, si cela était requis par les conditions d’émission du permis, avoir rempli le formulaire et déposé les plans.
La jurisprudence et la doctrine sont très claires en indiquant que l’intention, le fait d’avoir commencé la construction ou échangé avec la municipalité ne créera pas de droit acquis. Dans une récente décision rendue à l’été 2021, la Cour supérieure cite :
« Il ne suffit pas d’entreprendre certaines démarches ou de consulter quelques fonctionnaires municipaux pour prétendre à des droits acquis; l’intention ne suffit pas. […] Ce qui est constitutif de droits acquis, c’est une demande de permis conforme. […] une demande de permis de construction est suffisante pour conférer au requérant des droits acquis à l’encontre d’une nouvelle réglementation qui vise à interdire ce que le requérant veut construire. C’est donc au moment de la demande de permis qu’il faut se placer pour déterminer les droits respectifs du requérant et de la municipalité ».3
En résumé, il est judicieux pour les promoteurs immobiliers de s’intéresser aux idées et aux projets de réglementations des municipalités afin de prévoir les impacts des changements réglementaires à venir et agir en conséquence.
À NOTER !
Si vous pensez bénéficier d’un droit acquis, consultez un cabinet d’avocats, car certains éléments peuvent avoir une incidence sur la validité ou non du droit acquis. Un de ces éléments est le type de pouvoir derrière l’émission du permis. En effet, seul le permis découlant d’un pouvoir lié pourrait faire bénéficier d’un droit acquis, et ce, si les conditions énumérées plus haut ont été respectées.4
1 Ville d’Ottawa et al. c. Boyd Builders Ltd., 1965 CanLII 1 (CSC), [1965] RCS 408.
2 Al-Musawi c. Westmount (Ville de) 2013 QCCA 2066, para 101.
3 Gillis c. Ville de Gaspé 2021 QCCS 2915, paragraphe 29.
4 9071-6754 Québec inc. c. Ville de Québec, 2020 QCCA 344, paragraphe 30.
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