Projet de loi 162 : les entrepreneurs en construction doivent agir
Le 5 septembre 2018
Par : Me Olivier St-André[1], Avocat
C’est le 31 mai 2018 que l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la Loi 162[2], laquelle vient apporter des modifications importantes à la LBQ[3]. La Loi est entrée en vigueur le 4 septembre 2018.
Parrainée par la ministre Lise Thériault, la Loi 162 a pour objectif de mieux encadrer l’industrie de la construction, notamment en resserrant les conditions de délivrance et de maintien d’une licence d’entrepreneur, afin de lutter contre les pratiques frauduleuses, la concurrence déloyale et l’incursion du crime organisé au sein de l’industrie.
Dans les prochaines lignes, nous passerons en revue les principaux changements survenus qui sont susceptibles d’affecter la situation de l’entrepreneur en construction, que celui-ci soit déjà détenteur d’une licence ou qu’il soit en processus de délivrance ou de renouvellement de licence.
Notion de « répondant » et de « dirigeant »
En premier lieu, la Loi 162 introduit dans la LBQ la notion de répondant, par opposition au titulaire de la licence. S’il peut être surprenant qu’une telle définition ne se retrouvait pas dans la LBQ alors qu’elle était d’usage dans l’industrie, il faut surtout retenir que le répondant doit être un dirigeant de la compagnie pour se qualifier.
Le répondant doit aussi participer activement aux activités pour lesquelles il répond, à défaut de quoi, la licence pourrait être refusée ou retirée.
Le rôle du répondant est appelé à évoluer et le législateur semble voir en lui une véritable personne-ressource qui veille à la conformité des activités de l’entreprise pour chaque sous-catégorie dont il répond. Il est aussi tenu de communiquer à la RBQ[4] diverses informations pour le compte de l’entreprise.
Les tribunaux seront certainement appelés à circonscrire le rôle du répondant suivant les modifications apportées.
Quant à la notion de dirigeant, celle-ci a été nettement élargie.
Auparavant, le dirigeant était principalement décrit comme l’administrateur ou l’actionnaire détenant 20% des actions avec droit de vote. La jurisprudence reconnaissait aussi que certaines personnes assurant une fonction de direction soient considérées comme un dirigeant.
Dorénavant, la définition de dirigeant inclut tout membre d’une société, administrateur ou actionnaire détenant seulement 10% des actions avec droit de vote, ainsi que tout responsable ou toute personne qui remplit une fonction similaire, ou même une personne désignée comme telle par résolution du conseil d’administration.
D’un côté, il s’agit d’une bonne nouvelle pour l’entrepreneur, qui n’aura plus à démontrer le rôle-clé que joue son répondant sans que ce dernier soit un administrateur ou un actionnaire déclaré.
De l’autre côté, l’entrepreneur devra se garder d’élire comme répondant certains membres ou responsables qui ne sont pas impliqués dans la gestion quotidienne de l’entreprise pour les sous-catégories dont ils répondent, sans quoi il s’expose à certains risques de refus de délivrance pour cause de prête-noms et à de nouvelles amendes.
Par exemple, un actionnaire détenant 10% des actions avec droit de vote pourra se qualifier comme dirigeant, mais pas nécessairement comme répondant, s’il n’a pas d’implication ou de participation active dans la gestion de l’entreprise.
Mais surtout, l’entrepreneur devra faire preuve d’une grande rigueur à l’occasion de sa demande de délivrance ou de renouvellement de licence en déclarant les antécédents de tous les dirigeants dans sa définition la plus vaste.
Conditions de délivrance et de maintien :
Les modifications les plus importantes de la Loi 162 se situent au niveau des conditions de délivrance et de maintien de la licence. Les articles 58 et suivants de la LBQ ont été complètement revampés :
- Une assurance responsabilité au nom du répondant et de l’entreprise sera exigée pour la délivrance et le maintien d’une licence;
- La culpabilité de certaines infractions par le répondant ou tout dirigeant de l’entreprise empêche la délivrance et le maintien, notamment : le truquage d’offres; la fraude; le trafic, l’importation, l’exportation ou la production de certaines drogues et autres substances; le recyclage des produits de la criminalité;
- L’omission de fournir un renseignement à la RBQ dans le but d’obtenir une licence empêche la délivrance et le maintien, que cette omission provienne du répondant, d’un dirigeant ou de l’entreprise et qu’elle soit antérieure ou non;
- Une pièce d’identité avec photo sera exigée pour la délivrance;
- Pour toute infraction ayant donné lieu à une peine d’emprisonnement, la RBQ refusera toute demande de délivrance déposée moins de 5 ans suivant la fin de la sentence pour le répondant et moins de 5 ans suivant la déclaration de culpabilité de tout dirigeant de l’entreprise ou l’entreprise elle-même;
- La RBQ pourra également refuser la délivrance ou le maintien d’une licence en cas de financement inadéquat;
- Les obligations du répondant et de l’entreprise en matière de transparence, de communication et de divulgation des renseignements sont accrues et peuvent, en cas d’un manque de collaboration, mener à un refus ou une suspension de licence;
À la lumière de ce qui précède, les entrepreneurs doivent prendre les mesures qui s’imposent pour se conformer aux nouvelles dispositions, dont certaines comportent un volet rétroactif, c’est-à-dire qu’elles s’appliqueront même si les faits sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Si certaines questions restent en suspens, l’entrepreneur devra redoubler de prudence en matière de conditions de délivrance et de maintien.
Délais et amendes
Le délai pour remplacer un répondant passe de 90 jours à 120 jours.
Le dépôt d’une poursuite pénale passe maintenant de 1 an à 3 ans de la connaissance du poursuivant et de 5 ans à 7 ans de la date de l’infraction.
Deux nouvelles amendes sont créées :
- En cas de recours à un prête-nom, un individu est passible d’une amende de 11 213$ à 84 087$ et l’entreprise de 22 635$ à 168 172$;
- En cas d’information fausse ou trompeuse dans toute communication avec la RBQ, un individu est passible d’une amende de 2 000$ à 20 000$ et l’entreprise de 10 000$ à 250 000$;
Immunité
La Loi 162 accorde maintenant une immunité aux dénonciateurs. Toute personne peut maintenant communiquer des renseignements à la RBQ, même si ceux-ci sont confidentiels, ce qui exclut l’avocat ou le notaire, mais qui inclut le comptable, le client, le fournisseur ou encore l’employé de l’entreprise.
L’immunité protège le dénonciateur contre des poursuites en responsabilité civile et, dans le cas d’un employé, contre des mesures disciplinaires ou administratives en raison de sa communication à la RBQ.
Conseils pratiques pour les entrepreneurs
Comparez vos dernières déclarations auprès de la Régie du Bâtiment du Québec avec la situation actuelle de votre entreprise;
Assurez-vous que votre (vos) répondant(s) sont dans les faits responsables des sous-catégories dont il(s) répond(ent);
Prévoyez des solutions alternatives en matière de qualification de licence : addition de répondants pour certaines licences ou sous-catégories de licences;
Consultez-nous pour une évaluation de la conformité de votre dossier : nous pouvons vous conseiller et vous représenter en cas de besoin auprès de la Régie du Bâtiment du Québec.
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