Bélanger Paradis Avocats - Cabinet d'avocats - Montréal - Boucherville

Au service des entrepreneurs en construction.

Les faits

Le 27 avril 2012, un Entrepreneur[1] s’engage auprès d’un couple à fournir et installer des armoires et comptoirs de cuisine dans leur résidence en construction pour la somme 18 396$[2].

Après enquête de la RBQ[3], il est découvert que l’Entrepreneur ne détient pas la licence prévue à l’article 12 de l’Annexe III du Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires[4] . De ce fait, la RBQ transfère le dossier d’enquête au DPCP[5] qui émet un constat d’infraction en matière pénale réglementaire à l’Entrepreneur, fondé sur une contravention aux articles 46 et 197.1 de la LBQ[6], à savoir que l’Entrepreneur a exercé les fonctions d’entrepreneur en construction sans être titulaire d’une licence en vigueur à cette fin.

Cour du Québec

En première instance, la Cour du Québec déclare l’Entrepreneur coupable de l’infraction reprochée[7] et lui impose une amende de 30 843$[8].

L’Entrepreneur invoquait notamment que l’amende minimale imposée par la LBQ contrevenait à l’article 12 de la Charte[9] en ce qu’elle constituait une peine cruelle et inusitée, garantie juridique protégée constitutionnellement.

Le juge de paix magistrat n’a pas retenu ce motif, notant au passage qu’« [é]tendre la protection des droits intimement liés à la personne humaine à celle des droits économiques d’une personne morale, même détenue par une seule personne physique, banaliserait la protection prévue à l’article 12 de la Charte. »[10].

Cour supérieure du Québec

L’Entrepreneur dépose alors un avis d’appel à la Cour supérieure du Québec afin de faire trancher deux questions, dont celle de savoir si les personnes morales peuvent bénéficier de la protection prévue à l’article 12 de la Charte.

S’appuyant sur une jurisprudence étoffée de la Cour suprême refusant de reconnaître certaines garanties juridiques aux personnes autres que physiques[11], la Cour supérieure se range du côté du juge de paix magistrat et rejette l’appel : « Pour qu’une personne morale puisse invoquer une protection octroyée par la Charte, elle doit prouver qu’elle a un intérêt qui est compris dans la portée de la garantie et qui s’accorde avec l’objet de la disposition. Or, comme je l’ai déjà mentionné, l’objet poursuivi par l’article 12 de la Charte est la protection de la dignité humaine.»[12].

Cour d’appel du Québec

Insatisfait, l’Entrepreneur s’adresse alors à la Cour d’appel du Québec qui accepte d’entendre l’appel et infirme les jugements rendus en Cour du Québec et en Cour supérieure[13], avec dissidence.

La Cour d’appel n’a pas retenu l’argument principal jusqu’ici invoqué et selon lequel les protections de l’article 12 de la Charte visent à préserver la dignité humaine, ce qui emporte un caractère de souffrance que seule une personne physique peut subir.

Au soutien de son raisonnement, la Cour d’appel convient de trois principales assises :

  • La dignité humaine est un concept appelé à évoluer et qui devrait s’étendre aux personnes physiques qui agissent comme agents de la personne morale. Ainsi, le cadre d’analyse doit intégrer qu’« une personne morale peut souffrir d’une amende cruelle qui se manifeste par sa dureté, sa sévérité et une sorte d’hostilité »[14].;
  • Certaines garanties juridiques s’appliquent déjà aux personnes morales (c.-à-d. fouilles, perquisitions et saisies abusives, art. 8 de la Charte). Inclure la protection de l’article 12 de la Charte aux personnes morales permet de respecter le texte, de faire bénéficier aux agents (personnes physiques) de la personne morale d’une certaine protection et de respecter l’intérêt social qu’a la collectivité de voir les personnes morales protégées par ces garanties[15].
  • L’intérêt public milite en faveur d’une telle protection : « Je ne crois pas que la société canadienne trouverait acceptable ou dans l’ordre naturel des choses, en toutes circonstances, qu’une amende totalement disproportionnée conduise une personne morale ou une organisation à la faillite, mettant ainsi en péril les droits de ses créanciers ou forçant les licenciements. Dans ce cas, ce serait non seulement certaines personnes qui seraient pénalisées, mais parfois toute une communauté et, de là, la société en général. »[16]

Cour suprême du Canada

Insatisfaits du dispositif, c’est alors le DPCP et la Procureure générale du Québec qui interjettent appel à la Cour suprême du Canada, laquelle a rendu son jugement le 5 novembre 2020[17].

Bien que les juges soient en désaccord sur le raisonnement à adopter pour trancher l’affaire, notamment quant au poids du droit international public sur le droit national canadien selon le principe de présomption de conformité en matière d’interprétation, la Cour a unanimement accueilli le pourvoi et rejeté l’arrêt de la Cour d’appel du Québec.

La Cour procède à une analyse exhaustive des textes de lois, de la Constitution et du droit international comparé, pour conclure que les personnes morales ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle contre les peines cruelles et inusitées enchâssée à l’article 12 de la Charte.

En effet, s’il est acquis qu’une amende constitue une peine, le caractère cruel et inusité de celle-ci est ancré dans le concept de dignité humaine et donc relatif à la souffrance.

Pour qu’une amende soit considérée comme une peine cruelle et inusitée, elle doit être déraisonnable à tel point qu’elle devient incompatible avec la dignité humaine.

La personne morale n’étant pas susceptible de souffrance et ne détenant pas un « droit à la dignité humaine », c’est pourquoi la Cour refuse d’étendre la portée de la protection aux personnes morales comme l’avaient fait les juges majoritaires de la Cour d’appel à l’occasion de leur analyse.

Conclusion

En conclusion, il faut retenir que les entrepreneurs qui sont des personnes morales et qui se voient émettre un constat d’infraction en matière pénale réglementaire ne peuvent pas invoquer, à l’étape des représentations sur la peine, le caractère cruel et inusité de la peine.

Même si comme dans le présent cas, l’amende minimale imposée par la loi est nettement supérieure à la valeur des travaux et même si elle pose un risque grave et accru sur la santé financière de la personne morale, cette dernière ne peut bénéficier de la protection de l’article 12 de la Charte.

Cependant, les entrepreneurs, qu’ils soient des personnes morales ou physiques, bénéficient toujours de la présomption d’innocence et peuvent soulever un doute raisonnable à l’occasion de leur défense en matière de droit pénal réglementaire.

Si un constat d’infraction vous est émis en contravention d’une disposition relative à la licence d’entrepreneur, n’hésitez pas à communiquer avec nous et il nous fera plaisir de vous représenter.

Par: Me Olivier St-André

 

[1] Il s’agit de l’entreprise 9147-0732 Québec inc.

[2] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9147-0732 Québec inc., 2016 QCCQ 5931, par. 2

[3] Régie du bâtiment du Québec

[4] RLRQ c B-1.1, r 9. Bien que la version courante diffère de la version antérieure applicable au moment de l’infraction reprochée, les articles pertinents sur la qualification donnant lieu au recours demeurent inchangés.

[5] Directeur des poursuites criminelles et pénales : dirige pour l’État, sous l’autorité générale du ministre de la Justice et procureur général, les poursuites criminelles et pénales au Québec.

[6] Loi sur le bâtiment, RLRQ c B-1.1; Les articles 46 et 197.1 (en version courante) se lisent comme suit :

46. Nul ne peut exercer les fonctions d’entrepreneur de construction, en prendre le titre, ni donner lieu de croire qu’il est entrepreneur de construction, s’il n’est titulaire d’une licence en vigueur à cette fin.

Aucun entrepreneur ne peut utiliser, pour l’exécution de travaux de construction, les services d’un autre entrepreneur qui n’est pas titulaire d’une licence à cette fin.

197.1. Quiconque contrevient à l’un des articles 46 ou 48 commet une infraction et est passible, selon le cas, d’une amende:

1°   de 5 841 $ à 29 200 $, dans le cas d’un individu, et de 17 521 $ à 87 604 $, dans le cas d’une personne morale, s’il n’est pas titulaire d’une licence ayant la catégorie ou la sous-catégorie appropriée ou s’il utilise les services d’une autre personne qui n’est pas titulaire d’une licence ayant la catégorie ou la sous-catégorie appropriée;

2°   de 11 682 $ à 87 604 $, dans le cas d’un individu, et de 35 041 $ à 175 206 $, dans le cas d’une personne morale, s’il n’est pas titulaire d’une licence ou s’il utilise les services d’une autre personne qui n’est pas titulaire d’une licence.

[7] Ibid, note 2

[8] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9147-0732 Québec inc., 2017 QCCQ 1632

[9] Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11

[10] Ibid, note 7, par. 43

[11] Ibid, par. 53-60

[12] Ibid, par. 56

[13] 9147-0732 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2019 QCCA 373

[14] Ibid, par 120-123

[15] Ibid, par. 124-128

[16] Ibid, par. 130

[17] Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32

Page précédente

Trucs et conseils juridiques